On pourrait se dire que la corde est usée quand on voit le nombre d’adaptations subies par le sulfureux roman de Bram Stoker, Dracula, et pourtant Cole Haddon s’est lancé dans l’aventure avec cette série qui vient de clore sa première saison aux Etats-Unis…
Synopsis : Alexander Grayson, mystérieux milliardaire américain débarque à Londres avec la promesse d’une énergie propre. Cela ne plaît pas du tout aux businessmen locaux qui vivent de l’exploitation du pétrole. Mais, Alexander Grayson est en fait Dracula, libéré de sa tombe par Abraham Van Helsing. Tous deux veulent se venger de l’ordre du Dragon qui a détruit leurs vies, en massacrant la famille de Van Helsing et en faisant de Dracula un vampire…
Alliance contre nature s’il en est ! Van Helsing aidant Dracula à vivre au grand jour… Mais ce n’est pas tout, loin de là. Cette nouvelle version de Dracula a vampirisé le texte de Stoker et modifié les personnages. Ainsi, Jonathan Harker est un jeune journaliste intègre qui va être amené à travailler auprès de Grayson, Mina Murray est fille de médecin et une des premières femmes étudiantes en médecine, Van Helsing est son professeur, et Reinfield est un avocat noir américain… quant à Lucy… non, Lucy (Katie McGrath) est toujours une riche héritière écervelée et un brin manipulatrice… si, elle est amoureuse de Mina (mais ça, Coppola avait ouvert la voie).
J’espère que cette série va pouvoir déployer ses ailes plus avant (vu l’hémorragie de spectateurs après le premier épisode, c’est incertain), car si elle a démarré doucement, elle modifie assez le mythe tout en lui étant fidèle (j’aime le paradoxe!) pour avoir des développements intéressants dans le futur. Ainsi, Dracula n’est pas ce voïvode hors du temps qui se cache dans une abbaye en ruine mais un homme du monde, du nouveau monde qui formante une vengeance en tapant d’abord là où ça fait mal (le porte-monnaie !).
N’est-ce pas d’une ironie charmante qu’un vampire amène la lumière ? Dracula n’est plus le croquemitaine hors de l’histoire, le monstre qui se cache. Il est toujours au centre de l’intrigue, des préoccupations de tous. Il se cache en pleine lumière, au coeur de la société. De plus, l’interprétation de Jonathan Rhys Meyer est parfaite. Certes, il est habitué aux rôles ambigus (du Cassandre d’Alexandre au Henry VIII des Tudors), mais il réussit à jouer un personnage tantôt très humain, tantôt dévoré par la rage, tantôt par l’amour. Le personnage est un habile manipulateur, aux actions discutables, mais qui peut également être manipulé. Van Helsing (Thomas Kretschmann) n’est pas le vieux professeur sympathique que nous connaissons, mais un homme apparemment froid, mais dévoré par la haine. Si Grayson retrouve un certain espoir grâce à Mina (Jessica de Gouw), l’image vivante de Ilona l’épouse de Dracula, Van Helsing n’a que sa vengeance.

le couple Mina-Jonathan est une bonne surprise. Mina n’est plus la charmante fiancée, mais une jeune femme forte, à la pointe de son époque, puisqu’elle étudie la médecine (pour mémoire, la première femme médecin en Angleterre, Elizabeth Garrett Anderson, fut diplomée en 1870). Même si l’atmosphère victorienne est très bien rendu (un baiser entre Jonathan et Mina à la terrasse d’un café manque faire s’évanouir de consternation une brave mère de famille qui cachent vite les yeux de ses rejetons… j’avoue avoir bien ri, mais c’était une réalité – j’aurais pas mal de chose à dire sur la retranscription de l’époque victorienne dans le feuilleton, mais ce ne serait plus un article, mais un nouveau mémoire de thèse, donc je vais m’abstenir… plus tard, peut-être), le personnage de Mina est une jeune femme moderne, indépendante (le tout est justifié par un père médecin, et l’absence de mère qui a obligé Mina a se débrouiller toute seule), consciente des limites de la société et donc fascinée par Grayson qui représente le futur.
Jonathan Harker (Oliver Jackson-Cohen) m’agace toujours autant, mais je dois avouer que les changements dans le personnage sont eux aussi intéressants, et sa relation avec Grayson est particulièrement complexe, puisque le vampire essaie de rapprocher Mina de son fiancé plutôt que de les séparer. Il y a dans Dracula la haine de ce qu’il est, et le désir de redevenir humain, d’avoir une seconde chance.
Etonnement, mon personnage préféré en dehors du cher Dracula (un faible pour les mauvais sujets… On ne se refait pas 😉 ), c’est Reinfield (Nonzo Anozie). Ici, pas d’esclave servile au régime protéiné à base d’insectes, mais un avocat qui se montre parfois plus malin que son maître. Le choix d’un homme noir n’est pas innocent. Car, comme Mina, Reinfield a su s’élever au-dessus de sa condition première, et penser que dans les années 1880-90 un homme noir a pu devenir avocat aux Etats-Unis, il fallait un sacré courage… La relation Reinfield-Dracula est aussi très intéressante, puisqu’il y a une égalité entre eux. Reinfield dit ce qu’il pense, agit parfois contre son maître (mais dans son intérêt), et Dracula est prêt à risquer sa vie pour le protéger.
Quelques personnages originaux servent ce « reboot » du mythe. Les membres de l’ordre du Dragon, les notables londoniens qui chassent le vampire, mais également leurs adversaires commerciaux… Leur richesse vient du pétrole (énergie polluante) alors que Grayson propose une électricité sans fil et non polluante (écologique, et pas chère, un rêve). Dracula est brusquement un bienfaiteur de l’humanité… même s’il passerait rapidement à la phase égorgement s’il se laissait aller. Dans l’ordre du dragon, il y a cependant le personnage du chasseur de vampire, là encore une femme, Lady Jayne Wetherby (Victoria Smurfit), marié parce que l’époque oblige, mais dont le mari n’apparaît même pas (je pense qu’elle le garde dans un donjon quelque part). Lady Jane est aussi un figure de la modernité, et s’il est évident que les créateurs de la série ont ajouté ce personnage par soucis de modernisme, cela permet à Dracula d’appliquer un vieil adage : gardes tes amis proche de toi, tes ennemis encore plus proches. Ainsi, le vampire doit jouer à cache-cache avec ces ennemis, et la société de faux-semblants (soyons honnête, l’époque victorienne était policée aux yeux du monde, mais ce qui se passait dans le secret des alcoves ou les rues sordides de Whitechapel nous monte bien qu’on ne vivait pas l’Utopie de Thomas More) et aussi au coeur de la série. Personne n’est réellement celui ou celle qu’il semble être (à part peut-être Reinfeild et Lucy) et les masques tombent, en laissant espérer une évolution qui s’éloignera de Stoker, et surprendra certainement (en espérant que NBC donne le feu vert à une seconde saison…).
Voici donc une relecture du mythe qui offre des personnages sous un jour nouveau tout en ne les trahissant pas et qui a le mérite d’apporter un peu de sang neuf au monde des vampires qui souffrait ces dernières années d’un affadissement dû à certains contes de fées que je nommerai pas ici. Dracula a du mordant, de l’esprit et de la sensualité, c’est ce qu’on demande à un vampire.