Le Crime du chevalier Dupin ~ Episode 1

Le cabinet de lecture

       Il fut un temps où on appelait ces lieux des cabinets de lecture. Bibliothèques, cafés littéraires, librairies, aujourd’hui, les livres sont partout, même virtuellement. J’avais pourtant découvert cet endroit suranné comme par miracle, un après-midi où j’errais dans Paris au hasard. J’adore faire cela, sortir du métro dans un quartier que je ne connais pas et avancer sans but, tourner dans une rue parce que son nom est amusant ou mystérieux, ou simplement parce que les voitures interdisent de traverser la chaussée dans l’instant. C’est ainsi que j’ai découvert des magasins exotiques ou baroques, des bouquinistes insolites, des monuments fantastiques et méconnus, des gens charmants et excentriques. C’est ainsi que j’entrai dans ce lieu antique, caché dans une arrière-cour envahie de glycines. La peinture de l’enseigne était écaillée, mais la propreté maniaque. L’endroit sentait la cire fraîche et le parfum doux de la Reine des Prés. J’eus l’impression de plonger un siècle ou deux dans le passé, le Paris de la Belle-Epoque ou sous la Restauration, un Paris dont je rêvais depuis l’enfance, à travers mes lectures. A l’intérieur, les livres s’alignaient sur des étagères sombres et massives, impressionnantes mais accueillantes. Les journaux reposaient négligemment sur leur râtelier, comme dans les grands restaurants, comme hier. L’odeur du papier se mêlait harmonieusement à celle du bois et de la cire. Je fis un pas, puis un deuxième dans ce lieu onirique, tentée de me pincer pour vérifier que je ne rêvais pas. Une toux discrète mit fin à ma bienheureuse solitude dans le fantasme d’un temps disparu. Un vieil homme était assis à l’opposé de la porte. Il replia son journal – La une donnait bien la date et les événements du jour – et vint m’accueillir

– Cherchez-vous un ouvrage en particulier, mademoiselle ?

Cette question était un test. Je le sentai. Il ne fallait pas répondre en hâte, il fallait offrir une réponse satisfaisante, une réponse qui prouverait que j’avais le droit de m’asseoir à l’une de ces belles tables de merisier à pieds de griffons et au plateau d’écailles de tortues.

Quel livre ?

– L’Atrée… l’Atrée de Crébillon, demandai-je dans une impulsion alors que ce livre m’était presque inconnu.

Le vieux visage de parchemin s’illumina d’un sourire joyeux. J’avais passé l’épreuve avec succès. Mon hôte se précipita avec une noble lenteur vers une bibliothèque qui ployait sous de volumineux in-quarto, des livres aussi anciens que vénérables, patinés par le temps. Il revint avec le volume entre ses mains tendues, Saint Graal parmi tant de reliques précieuses et inestimables.

Il tira une portière, s’effaça pour me laisser entrer dans une seconde salle, plus petite, plus baroque également. Les livres y étaient serrés dans des bibliothèques grillagés comme par des moucharabiés, leurs reliures précieuses luisant discrètement dans la pénombre ambiante. Mon Cicérone m’installa à une délicate table marquetée, chef d’oeuvre qui représentait une scène de chasse avec chiens, chevaux, cors et une malheureuse biche aux aboies, perdue, acculée en haut d’un éperon rocheux. Je restai un moment à admirer ce travail exceptionnel, songeant à l’artisan qui l’avait réalisé de nombreuses décennies plus tôt. Le vieux monsieur revint m’offrir un grand verre de thé glacé qu’il déposa sur un sous-verre en cuir parfaitement exquis. Je pris alors la mesure du personnage et de son anachronisme. Il ressemblait à un employé de bureau du début du siècle dernier avec sa chemise blanche immaculée et amidonnée, son faux-col, ses manchettes cartonnées et son gilet noir un peu élimé mais impeccable. Il ne portait pas des lunettes, comme je l’avais cru, mais des binocles qui pinçaient son imposant nez en bec d’aigle. Son sourire avait la sagesse d’un millénaire, me sembla-t-il. Quand je le remerciai, il inclina la tête pour me saluer et disparut dans la grande pièce. Les heures passèrent.

L’Atrée, ou plutôt Atrée et Thyeste… Ceux qui n’ont pas lu cette pièce de Crébillon perdent beaucoup. C’est une merveille de cruauté, de perfidie. La lutte entre deux frères ennemis qui dévoile toute la monstruosité de la race humaine.

Une toux discrète. Je relevai des yeux curieux vers l’intrus. Ce n’était pas le vieux monsieur, mais un jeune homme. Il était tout aussi hors du temps que mon hôte avec sa redingote grise, sa chemise à jabot et sa lavallière d’un vert éclatant maintenue par une épingle qui se terminait par un cabochon d’émeraude aussi gros qu’un oeuf n œuf de pigeon. Nos regards se croisèrent. Des verres céladon masquaient la couleur de ses yeux. Je n’avais jamais vu de telles lunettes. Elles étaient là pour cacher quelque chose, mais l’éclat du regard était tel que j’eus l’impression de voir l’âme de cet homme. Et quelle âme !… Il était grand, extrêmement grand, et maigre, à l’extrême. Son corps donnait une impression de faiblesse et pourtant ses yeux montraient une force incommensurable. L’élégance de ses mouvements faisait écho à la beauté de son visage. Ses traits étaient accusés mais fins, délicats comme ceux d’une femme, annonçant une volonté qui ne s’en laissait pas compter. Ses cheveux blonds, épais, cascadaient en boucles légères jusqu’à ses épaules. Une mèche rebelle tombait sur son nez, devant ses yeux, masquant en partie un front haut d’intellectuel. Finalement, il sourit. Je me rendis compte que j’avais souri la première. Il leva une main délicate, des doigts à la finesse terrible et retira ses lunettes à l’absente monture d’acier. Ses yeux avaient la couleur du bronze le plus brillant, des yeux de chat.

– Je m’excuse, commença-t-il d’une voix profonde, faite pour parler en public, pour impressionner un auditoire, mais j’ai laissé hier une lettre dans le livre que vous êtes en train de consulter. Je suis absolument confus de vous déranger ainsi…

Sans le laisser terminer, je fis apparaître une lettre que je lui tendis.

 

A Suivre …

Copyright/tous droits réservés Dorothée Henry

PAGE DU FEUILLETON

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Sorties Lupiniennes…

Grâce à mes indics (Un certain Chevalier bien connu des Holmésiens, et notre chère Consulting Blogger), je peux vous indiquer quelques sorties Lupiniennes pour lupinophiles avertis ou débutants… 2 nouveautés (une bande dessinée et un pastiche) et une réédition… si vous cliquez sur les images, cela vous redirigera sur les sites des éditeurs.

Le deuxième tome de la BD Arsène Lupin : Les origines (chronique du premier tome : ICI).

AL les origines  2

Un nouveau pastiche vient de paraître aux éditions Grasset… 

nouvelle vie

Et enfin, la réédition en volume du dernier roman publié du vivant de Leblanc, enfin publié en feuilleton, Les Milliards d’Arsène Lupin… Ici, anecdote !

Et oui, Bouquins avait publié l’intégrale des aventures de l’ami Arsène il y a … quelques décennies, en 5 volumes taille brique que je chéris, puisque documents et pastiches (Boileau-Narcejac) à l’appui… Je les aime, mes bouquins de chez Bouquins… excepté pour les Milliards… car oui, il y a un manque dans l’édition, et de taille ! un épisode a été oublié… point de vue compréhension, ce n’était pas génial… Heureusement, une bonne âme (et là, je ne me souviens plus du titre, même si je me souviens très bien de ce petit livre trouvé sur les étagères de la BiLiPo), avait publié l’épisode perdu ! …  La photocopie de ses pages est toujours glissée à l’endroit stratégique de mon volume bouquin…

Quand aux Milliards en eux-mêmes… Il faudrait que je les relise, ces milliards, mais le souvenir que j’en garde n’est pas très bon… La magie lupinienne, la magie de la plume de Leblanc a disparu pour moi… Ce roman n’a en effet pas été retravaillé par l’auteur, comme le Dernier amour (que je n’ai toujours pas lu… je n’y arrive pas !) et c’est vrai que La Vengeance de la Cagliostro reste à mes yeux la fin du cycle canonique… Cette réédition pourrait être l’occasion de refléchir sur ces romans qui me sont un peu alien dans mon amour du gentleman… 

milliards

 

 

Sacrifier une Reine / l’apprentie de l’apiculteur de Laurie R. King

beekeeper 2Qu’a fait Sherlock Holmes après s’être retiré dans le Sussex ? Vous l’imaginez se limitant à étudier des abeilles ? Bien sûr que non ! Un homme comme Sherlock Holmes ne peut pas abandonner tout à fait le monde trépidant des enquêtes policières et des bas-fonds de Londres, et les bas-fonds de Londres ne veulent pas oublier non plus celui qui leur mit tant de bâtons dans les roues… 

La bonne idée de Laurie R. King est d’offrir à Holmes, dans sa « retraite », un cerveau aussi brillant que le sien, et en plus, celui d’une femme !

résumé : Mary Russell et Sherlock Holmes se croisent un jour de 1915 dans les collines du Sussex. De leur rencontre – celle d’une jeune fille surdouée et solitaire et du génial détective qui a déserté Londres et sa criminalité galopante – naît le tandem le plus improbable d’Europe, et le plus redouté. D’affaires insolites, en missions plus délicates, effectuées sur prière de la Couronne
le maître et l’élève se mesurent brillamment à des adversaires implacables. Des espions, bien sûr, à la solde de la belliqueuse Allemagne, mais il apparaît vite que le Kaiser n’est pas leur ennemi le plus menaçant. Holmes et Russell sont contraints de fuir l’Angleterre dans l’espoir de démasquer celui – ou celle – qui, dans l’ombre, a résolu de les tuer.

Coup de coeur ? non, soyons honnête. Cependant, cette lecture est très plaisante et la jeune Mary bien sympathique. Le monde de 14-18 n’est plus celui de la Reine Victoria, et les femmes commencent à s’émanciper, Mary en tête, puisqu’elle est une brillante étudiante d’Oxford. Il est aussi plaisant de voir un Holmes différent, puisque sur un terrain d’égalité avec son « partner in crime ». Mary n’est pas Watson, et elle comprend rapidement ce qui se passe dans la tête de Holmes, puisqu’elle aussi possède un esprit exceptionnel.

Ce que je reproche à l’auteur, c’est les effets d’annonce nombreux dans la narration, puisque Mary nous répète à loisirs, « si ce que je vais vous raconter n’était pas arrivé, tout aurait été différent à tel ou tel moment » ou encore « les effroyables événements que je vais vous raconter »… Ces effets d’annonce là pour attiser la curiosités du lecteur m’ont plutôt exaspérée. Pour 2 raisons : la première, les mystères sont assez évidents à dénouer (aurais-je trop lu de Sherlock Holmes et mon cerveau se serait-il mis au diapason ? peut-être…). En tout cas, quand on m’annonce l’apocalypse, et que cela donne un pétard mouillé… je râle (et oui, je ne dis jamais non à une bonne petite apocalypse… je suis comme ça). Cependant, les aventures sont relativement originales, même dans leur simplicité… Seconde raison à mon exaspération… une page ou deux d’annonce, je râle, mais je supporte encore, tout un chapitre qui ne même finalement qu’à une discussion sur les échecs… certes importante, mais qu’on aurait pu casser ailleurs…

beekeeper apprentice

Mon édition (bien plus jolie que la version française ! c’est dit ! )

Point positif, qui rejoint mon idée de Holmes : l’homme est finalement plus misanthrope que misogyne puisqu’il se moque bien du sexe de Mary et ne s’intéresse qu’à son cerveau (d’après mes sources, cela va changer… mais évitons les révélations fracassantes sur l’ami Sherlock). J’aimerais d’ailleurs citer l’auteur : « Il aimait cette humanité qui ne pouvait le comprendre ou l’accepter totalement » (« he loved the humanity that could not understand or fully accepted him »). Oui, Holmes sauve des vies, protègent les innocents, et s’il est dur, brusque, c’est que (comme le dit BBC Sherlock) il n’est pas aisé d’avoir une intelligence comme la sienne face au commun des mortels. Je pense qu’il y aurait à creuser dans ce sens… Mais je ne suis pas là pour démarrer un débat philosophico-fictionnel sur la personnalité de Sherlock Holmes ! je suis partante quand même 😉 .

En résumé, ce roman est plaisant, mais souffre de quelques lourdeurs et maladresses… N’en demeure pas moins que si je tombe sur le deuxième tome des aventures de Mary Russell et Sherlock Holmes, il se peut que je me laisse tenter… 

Post-Scriptum : pourquoi l’éditeur français a-t-il changé le titre ? The Beekeeper’s apprentice (l’apprentie de l’apiculteur) est une jolie trouvaille ! Ce « sacrifier une reine » (certes, une référence au texte) en dit trop et pas assez à la fois ! Ce roman est le récit de l’apprentissage de Mary auprès de Holmes qui forme sont esprit aiguisé à la détection criminelle… Parfois, je me pose des questions…

second Post-Scriptum : Les citations qui ouvrent chaque chapitre sont tirées de « La vie des abeilles » d’un certain Maurice Maeterlinck qui vécut pendant des années avec Georgette Leblanc, cantatrice et surtout soeur de Maurice… Et oui, Arsène Lupin est partout ! et je trouve délicieux de trouver ces citations dans un ouvrage mettant en scène Holmes !

Sherlock Holmes : The Tangled Skein de David Stuart Davies

tangledThe Tangled Skein ou l’écheveau emmêlé

résumé : Automne 1888, alors qu’il vient de conclure avec succès l’étrange affaire du Chien des Baskerville, Sherlock Holmes doit faire face à un mystère encore plus sombre. Plusieurs attentats contre sa vie ne font pas se détourner le détective d’un crime commis à Hampstead Park, un crime commis par une femme qu’on surnomme « la dame fantôme ». Mais ce fantôme est en fait un vampire… Grâce à une rencontre, celle du professeur Abraham Van Helsing, Sherlock Holmes a peut-être une chance de survivre face au plus obscur adversaire de sa carrière, le Comte Dracula…

Les auteurs n’en finissent pas de faire se frotter Holmes à Dracula (en tout bien tout honneur… du moins pour ceux que j’ai lu… )… avec plus ou moins de succès.

J’avais apprécié Les dossiers Holmes-Dracula de Fred Saberhagen, sans que ce soit un grand coup de coeur, je suis plus partagée quant à ce pastiche de David Stuart Davies. Non pas que l’auteur ne soit pas fidèle à Holmes. Ainsi, ce dossier oublié de Watson nous offre l’atmosphère familière du 221B Baker Street, et l’atmosphère soufrée de la Lande de Dartmoor.

L’idée de mêler les conséquences de l’affaire de Baskerville avec les premiers pas du sinistre Comte Dracula en terre d’Albion est loin d’être mauvaise. Dans la première partie de l’aventure, Holmes est un peu moins doué qu’à son habitude, et le brave Watson est sollicité par la providence pour sauver son ami… C’est plaisant, puisque finalement, on découvre que le grand homme est loin d’être infaillible (Cela justifie certainement les reproches de Holmes à son cher biographe, qui tend à passer sous silence les erreurs du maître)… 

Cependant, le choix d’oublier complètement l’oeuvre de Stoker me laisse un peu perplexe : pourquoi utiliser Van Helsing si finalement, il ne fait qu’une petite apparition et que toute l’histoire Canonique du noble transylvanien est finalement niée ?

Je sais que l’histoire de Dracula a été écrite et réécrite de nombreuses fois (comme celle de Holmes d’ailleurs), mais j’ai finalement l’impression que cet écheveau n’était lié que par des fils plutôt faibles en effet – attention, Spoliers en série ! : pourquoi utiliser Stapleton si peu, même si je reconnais qu’il fait lien, ce n’est finalement qu’un lien ténu entre Baskerville Hall et le comte. Le combat final n’est pas assez grandiose à mon goût et sa fin rappelle un peu trop celle de Stapleton dans le Chien… peut-être que finalement, l’histoire pourra reprendre normalement par la suite, avec Mina et Cie, mais ça ne m’a pas semblé original.

J’aurai préféré que Dracula s’évade… vers le roman de Stoker !

 

 

Sherlock Holmes : The Shadow of the Rat de David Stuart Davies

shadow of the ratSherlock Holmes face à la terrifiante affaire du rat géant de Sumatra.

Résumé : un corps trouvé flottant dans la Tamise se révèle contaminer par la peste bubonique. Holmes et Watson partent en quête de réponse dans un club clandestin qui, entre autres perversions, organise des combats de rats. Holmes, comme à son habitude, décide de suivre une piste en solitaire, et disparaît… Watson part à sa recherche, mais ne retrouve pas un ami, mais un ennemi. Holmes est sous le contrôle de l’ennemi, et Watson va devoir sauver son ami avant que tout deux puissent se porter au secours de l’empire Britannique !

Holmes et l’hypnotisme… Quelle bonne idée ! Ainsi, l’esprit d’airain du détective n’est finalement pas infaillible… et lui qui se moquait de la magie aurait dû réfléchir à deux fois avant de dénigrer l’art de la suggestion. David Stuart Davies nous offre un Holmes plus vulnérable, certes, mais surtout un morceau de bravoure de la part de notre cher Watson !

C’est un plaisir de voir le bon docteur prendre l’initiative (contrait et forcé, c’est vrai), et de se rappeler qu’avant d’être le pantouflard de Baker Street (vilains films des années 50 qui nous ont induit en erreur), Watson était un soldat, un homme d’action. 

L’ennemi, une belle comtesse étrangère à la tête d’une association criminelle, est assez fascinante, et l’intrigue faite de manipulations mentales et de manipulations génétiques (pour obtenir un bon gros rat cannibale…) est bien ficelée. Une lecture que je recommande (malheureusement pas traduite selon mes sources, je présente mes excuses pas avance au Cannibale Lecteur).