« L’Ile aux trente cercueils » adapté par Marc Lizano

album-cover-large-14571L’Ile aux trente cercueils est un de mes « Lupin » préférés, une fleur noir d’encre qui s’est épanouie comme un roman gothique avec une fin que beaucoup n’apprécient pas, mais que je trouve brillantissime. Attention, si vous n’avez pas lu la suite, évitez le paragraphe à venir !

Sur l’Ile, Véronique est face à son destin, une dramatique prophétie qui la voit mourir crucifiée… les trois-quart du roman, la jeune femme est seule, victime de cette malédiction, comme une pauvre innocente perdue dans un labyrinthe créé par l’esprit perverse d’un Lewis ou d’une Ann Radcliff… Maurice Leblanc nous offre un roman gothique, un thriller avant l’heure sur une ile bretonne… Mais dans les dernières pages, la drame devient comédie,  Arsène ou plutôt Don Luis, débarquant comme un Deus ex-machina de son sous-marin, ou plutôt comme un diable jaillissant de sa boite pour faire de la tragédie une bouffonerie, terrassant le dragon (non sans cruauté), sauvant la Belle, mais la rendant à l’homme qu’elle aime, ressuscitant les morts, et partageant la vedette avec un chien… Oui, certains trouvent la fin de L’Ile aux Trente cercueils ridicule, moi, je la trouve grandiose ! sublime, et je garde rancune au feuilleton des années 70 (chronique ici) d’avoir sabordé mon Lupin en peau de lapin, mon druide millénaire, mon comédien de boulevard adoré qui détruit toute cette vilaine tension accumulée quant au sort de la malheureuse Véronique… Cependant, je n’en veux pas du tout à Marc Lizano qui a su créée une fin plus ressérée et mis en scène l’Ile telle que je me l’imagine… donc finis les spoiliers, passons à la chronique !

Présentation Editeur : Quatorze ans ont passé…
Véronique d Hergemont, qui avait fui loin de son ex-mari le monstrueux comte Vorski, est de retour en Bretagne sur l ile de Sarek : elle espère y retrouver son père et son fils, jadis disparus et déclarés morts…
Seulement voilà, une mystérieuse légende plane. L ile, cernée par trente écueils menaçants, serait l ile aux trente cercueils : trente victimes sont censées mourir, dont quatre femmes, en croix. Et la prophétie semble déjà enclenchée…
Mais que dissimule réellement cette prédiction sanglante ? Véronique retrouvera-t-elle la chair de sa chair ? Et à quel prix ? Une histoire haletante qui mêle habilement humanisme, policier et fantastique. Editions Soleil, Collection Noctambule

D’abord, je vous parlerai de l’objet.

Ce roman graphique est simplement magnifique, le format est idéal pour la lecture, et l’auteur a eu la brillante idée de présenter l’histoire en feuilletons, une page interrompant le récit, mais pour offrir des informations intéressantes sur le roman, sur Maurice Leblanc, sur l’adaptation… C’est joliment fait, et cela donne un petit goût d’autrefois qui va bien avec cette histoire d’un autre âge.

Du côté du dessin, j’aime beaucoup la couleur sépia qui domine, ainsi que le semi-réalisme (je pense que c’est ainsi qu’on décrit ce type de dessins) qui donne un côté onirique – ou cauchemardesque – à l’aventure. Véronique a l’air  un peu jeune, c’est mon seul reproche, Tout-Va-Bien (le chien du fils de Véronique), a une bouille impayable, même si je ne sais pas pourquoi, je me le représentais plutôt comme un ratier…

Marc Lizano choisit également, très intelligemment de changé de perspective de narration quand Veronique  est seule (ou presque) sur l’Ile… Les pages se trouvent divisées entre Bande dessinée et journal intime. Cela permet de rejoindre, et rappeler le roman de Maurice Leblanc qui pouvait au fil de sa plume nous faire part si facilement des peurs et interrogations de l’héroine.

La fin diffère du roman, mais le fait avec plus de logique qu’un certain feuilleton ; j’ai passé un très bon moment de lecture avec cet ouvrage qui rend hommage à l’oeuvre de Leblanc tout en sachant s’en detacher sans la trahir.

 

L’Île aux trente cercueils (1979)

 Cela fait plusieurs fois que je remets à plus tard le visionnage de L’ïle aux trente cercueils (téléfilm tiré de la mini-série de Marcel Cravenne, 1979). Cela fait un bon nombre de fois, puisque le scénariste (Robert Scipion) a fait disparaître Arsène Lupin de l’aventure, crime de lèse-majesté s’il en est… Certes, Lupin est peu présent dans le roman, mais il est le Deus ex Machina de l’aventure, il est…  attention spoilers : le personnage qui transforme la tragédie en comédie, le chevalier blanc qui sauve l’héroïne et lui redonne une raison de vivre… 

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Autre critique de la version mini-série en lien sur cette image.

Donc, pas de Lupin, ça me faisait déjà grincer des dents, et en plus, second crime de lèse-majesté, je découvre que l’autre héros de l’aventure, le brave corniaud nommé Monsieur Tout-va-Bien, a été rebaptisé Aramis (et son rôle sacrément rétrécie…)… On peut dure que ce visionnage n’a pas été de tout repos (il ne faut pas me faire des coups comme ça, messieurs et mesdames les scénaristes !)

Remettons les choses dans leur contexte, ce téléfilm est daté, mais il est plus vieux que moi, et on ne faisait pas dans l’action frénétique à l’époque (pas la télévision française en tout cas)… Donc, même si certaines scènes ont été écourtées par rapport à la mini-série, ce téléfilm tire en longueur de manière maladroite. 

Pour ceux qui n’ont pas lu le roman, voici un petit résumé, sans révélations quant à l’intrigue : Véronique d’Hergemont a épousé contre l’avis de son père un dénommé Vorski, peu après la naissance de leur fils, le vieil homme enlève le bébé et disparaît avec lui en mer. Environ 15 ans plus tard, à la fin de la première guerre mondiale, Véronique apprend la mort de son mari qu’elle n’a pas revu depuis la disparition de leur enfant, et découvre ses initiales dans un film muet tourné en Bretagne. Elle décide de se rendre sur place et découvre alors que son père et son fils sont en vie et vivent sur l’île de Sarek, dite île aux trente cercueils. Elle arrive au Prieuré pour voir son fils tirer sur son père, qui meurt dans ses bras, avant d’assister au massacre des habitants de l’île… il semble que son fils François veuille réaliser une prophétie concernant un trésor venu du fond des âges, et qui demande le prix du sang, remplir les 30 cercueils… 

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Véronique (Claude Jade) et son père (Georges Marchal)

Voilà qui ressemble assez à un roman de Madame Radcliffe, et c’est ce que Maurice Leblanc avait réalisé, un roman gothique, qui nous faisait vivre l’angoisse de Véronique, seule sur l’île, persécutée par de mystérieux agents du mal… La solitude était un point important, l’héroïne face à son tragique destin, excepté que dans ce téléfilm, Véronique est rarement seule, et le découpage pour raccourcir la série en téléfilm d’un peu moins de deux heures rend le téléfilm répétitif (puisque tout le monde se raconte joyeusement ce qui s’est passé 5 minutes plutôt). La pauvre Véronique court d’un côté et de l’autre, on n’a pas le temps de s’attacher à elle, on ne sait rien de ses pensées (je ile1sais, c’est plus difficile avec un film qu’avec un roman), et son agitation n’est finalement que mouvement, il n’y a plus de réflexion. Cependant, l’interprétation de Claude Jade est juste, mais je n’en dirais pas autant des autres qui en font trop : La folie peut être représenter avec subtilité, les fous n’ont pas besoin de hurler comme des possédés pour vous convaincre (en plus, ça fait mal aux esgourdes ! comme dirait l’ami Lupin). De même le père (Georges Marchal) meurt avec un peu trop de grandiloquence (la faute au théâtre sans doute). On nous serine un peu trop la malédiction, au lieu de l’amener avec finesse. 

Au début, les flashbacks sur les circonstances du mariage de Véronique sont superflus et trop long, cela retarde l’arrivée sur l’île. J’ai l’impression de n’avoir vu que la caricature du roman. Attention, si vous ne l’avez pas lu, ou si ce n’est pas un de vos romans préférés (personnellement, ce serait plutôt le contraire, j’adore ce roman!), le téléfilm se regarde. Mais ce que j’essaie de mettre en lumière, c’est l’absence de la maîtrise propre à Maurice Leblanc. c’est mou, c’est terne, et les changements à la fin rende tout cela bien fade face au roman (Spoilers, pour ceux qui ont lu le roman est n’ont pas envie de s’infliger ce téléfilm : Philippe, l’amoureux transi de Véronique et élève de son père remplace Lupin. Pas de Druide donc, et c’est Elfride qui poignarde son époux, Vorski, qui n’est pas mis en croix. Toute la cruauté de Lupin qui joue les bourreaux, est effacée, et les personnages ont l’air bien calme en se racontant ce qu’ils ont fait pour arriver au dénouement, alors qu’ils ont assisté à 29 meurtres…) Pas de grande scène pour le dernière acte en somme, et ça m’a vraiment manqué !

Si vous êtes curieux (et moins intransigeant que moi), voici le film :

L’Île aux trente cercueils (1919)

L’Île aux trente cercueils est une de mes aventures favorites d’Arsène Lupin… Paradoxe : il n’est présent que dans les derniers chapitres… 27327_1258713L’action de ce roman se place en 1917, en pleine guerre. Véronique d’Hergemont recherche son père et son fils qui ont pourtant été déclarés morts en 1902 à la suite d’un naufrage. Cependant, la jeune femme est certaine qu’il n’en est rien, et que son père a trouvé le moyen de soustraire le jeune François à son père, le terrible Alexis Vorski. Son enquête la mène sur l’île de Sarek où elle arrive à temps pour être témoin du massacre de la population… par son fils et le précepteur de celui-ci. Véronique se retrouve seule sur l’île, en proie à une menace étrange.  Ainsi, une prophétie ou une malédiction annonce que l’île demandera 30 victimes, 30 cercueils pour ses 30 écueils, donc quatre femmes crucifiées… Véronique sera-t-elle l’une d’entre elle ?

Ce roman est proche du roman gothique : un endroit sinistre, une malédiction, une jeune femme en péril, un monstre sans pitié… Mais il y a aussi le chevalier blanc, qui joue un peu les clowns, soyons honnête ! Dans les 5 dernières chapitre de l’oeuvre, Arsène Lupin arrive, et tel le Deux ex Machina des tragédies antiques, il résout le mystère… Ce n’est pas un spoiler, vous vous doutez bien que Lupin ne peut que sauver la belle Véronique…

En tout bien tout honneur pour une fois ; en effet, Véronique est une figure maternelle, que Lupin se doit de protéger, puisqu’à 4 ans, il était déjà le protecteur de sa propre mère (voir la nouvelle : Le Collier de la Reine).  Toute la première partie du roman, « Véronique », et une grande part de la seconde partie, est un récit haletant. D’autant plus que Véronique est seule face à l’horreur et au surnaturel. Encore une fois (je me répète, je sais !), Maurice Leblanc maîtrise son sujet : on vit (survit ?) avec Véronique, on vit ses angoisses, ses désespoirs, son incompréhension face aux événements. C’est prenant, étouffant, dévorant… et finalement arrive Arsène qui change le drame en comédie, qui récompense les bons et punit les méchants, avec l’aide de Monsieur Tout-va-bien…

Un mot de Tout-va-bien… c’est un chien ! La race canine n’a pas été très représentée dans les aventures d’Arsène Lupin, mais Tout-va-bien a lui seul représente toute sa famille à quatre pattes… Ainsi, comme le Toby de Holmes ou le Bob de Poirot (Témoin muet), Tout-va-bien nous rappelle qu’au final… et bien, tout ira bien ! c’est un réconfort pour Véronique, une aide, un soutien… et Lupin lui accorde (comme Poirot), une intelligence supérieure (à celle de l’homme!) parce qu’il admet que Tout-va-Bien avais comprit avant lui ! C’est un personnage que j’adore (j’en parle même dans mon essai, c’est dire !), et je me demande s’il ne serait pas intéressant d’écrire un article (un livre ?) sur tous ces braves toutous qui ont tant aidé nos héros… Lassie et Rintintin sont loin d’être seuls ! J’ajoute que L’Île aux trente cercueils a été adapté pour la télévision en 1979 avec Claude Jade dans le rôle de Véronique… Je vous en parle bientôt ! Pour lire L’Île aux trente cercueils : ICI Quelques couvertures de  L’Île aux trente cercueils :

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couverture originale du premier épisode

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couverture originale du second épisode

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la couverture la plus récente

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Les Dents du tigre (1921)

aRien à voir avec la Brigade… Clémenceau était le tigre du commissaire Valentin, mais ici, la bête est bien plus terrible, parce que cachée dans l’ombre et travaillant à la la captation d’un héritage de 200 millions. Arsène Lupin alias Don Luis Perenna, qui a rejoint la légion étrangère après le fiasco de 813 se retrouve exécuteur testamentaire face à un sombre exécuteur option bourreau… Les cadavres s’amoncellent, et le point commun entre tous, c’est la jolie Florence Levasseur…

Voilà un roman des plus sombres parmi les aventures d’Arsène Lupin. Maurice Leblanc écrit à la sortie du premier grand conflit mondial, et Lupin n’est plus le léger malandrin des débuts : il a mûrit, il a fauté, et il a appris… Après 813, Les Dents du tigre est un des romans de la « purification »… Lupin laisse son ego de côté et joue les justiciers (L’Eclat d’Obus, L’île aux trente cercueils…) :  » La légende héroïque de Perenna […] mettait en relief l’énergie surhumaine, la témérité prodigieuse, la fataisie étourdissante, l’esprit d’aventures, l’adresse physique et le sang-froid d’un personnage singulièrement mystérieux qu’il était difficile de ne pas confondre avec Arsène Lupin, mais un Arsène Lupin nouveau, plus grand, ennobli par ses exploits, idéalisé et purifié. » Après un tel portrait, le pauvre Perenna a du mal à conserver son identité secrète… Etre un surhomme, ça se remarque…

Ce roman développe un point très intéressant dans le personnage : le masque. J’en ai parlé longuement dans mon essai (Arsène Lupin & Cie, pour ceux qui ne suivent pas), et Les Dents du tigre en est une parfaite illustration… Lupin, entité désincarné peut tout… Perenna, qui a un état civil, un grade dans la légion, une fonction dans le roman (l’exécuteur testamentaire de son ami Cosmo Mornington), est beaucoup plus limité… En effet, il n’est pas à l’abri d’être suspecté par la justice, et s’il veut que ses actions restent légitimes, il doit rester Perenna, à ses risques et périls…

Quelques couvertures :

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Le Triangle d’or (1918)

triangle1Ce roman est l’un de ceux où Lupin est plutôt l’adjuvant du héros que le héros lui-même. Ainsi, c’est le sympathique capitaine Patrice Belval, mutilé de guerre, que nous rencontrons dans les premières pages de l’aventure. Patrice est amoureux d’une des infirmières qui s’occupe de lui et des autres blessés, Maman Coralie. Cependant, la jeune femme a de lourds secret, et aussi un mari… Mais, le pauvre Patrice est un chevalier, et il est prêt à tout pour Coralie, d’autant plus que la menace qui la poursuit semble peser aussi sur Patrice.

Lupin, sous la défroque de Don Luis Perenna, est bien plus présent cependant dans cette aventure que dans L’Eclat d’Obus, et Patrice qui réapparaît dans L’Ile aux trente cercueils peut être considéré comme un ami proche du gentleman-cambrioleur. Le Lupin du Triangle d’or, c’est le bon génie qui va protéger les amoureux de tous les périls qui les menacent, tout en n’oubliant pas de protéger aussi la France et de l’aider dans son effort de guerre. Don Perenna est le guerrier en Lupin, et aussi celui qui expie ses pêchés de 813 en agissant pour le bien du plus grand nombre. Car, si Patrice et Coralie sont en danger, la France l’est aussi ! Ce sacré Lupin joue d’ailleurs un peu les agents secrets… mais chut, je ne vous en dis pas plus…

Mon ressenti par rapport au Triangle d’or ? d’abord, les deux héros, les deux amoureux sont bien sympathiques, astucieux, dévoués, et ils méritent vraiment le titre de héros, car ils agissent ! Certes, Lupin les sauvent, mais Lupin est un surhomme, et il faut bien un surhomme pour déjouer les pièges dignes du roman gothique qu’on a mis sur la route de Patrice et Coralie. Là encore, la plume de Leblanc est un délice : il se montre capable d’inventer des situations qui rappellent le roman à rebondissement du siècle précédent tout en rationalisant leur dénouement. Leblanc n’est jamais pris en faut quant à la réalité, mais cependant, il sait lui donner les apparences du conte de fées. Le roman est aussi un bon miroir de l’époque : patriotisme, haine de l’ennemi, colonialisme. Cependant ce miroir est peint par petite touche, et je me dis qu’il ne serait pas difficile de faire une adaptation moderne de cette oeuvre… avec un différent type de guerre peut-être.

Quelque part, je me dis que Leblanc, dans nombre d’aventures de Lupin, a su inventer le thriller avant qu’on use et abuse du mot, car souvent comme ici, l’aventure est haletante, vive, mystérieuse, cruelle et étonnante !

Couvertures du Triangle d’Or :

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