Pierre Lafitte

Les amateurs de roman policier, et surtout les amateurs d’Arsène Lupin connaissent bien son nom, et lui voue une reconnaissance éternelle (du moins c’est mon cas !) car ilje sais tout 4 est à l’origine du personnage. Certes, il n’a pas écrit, mais il a demandé à Maurice Leblanc, pour son tout jeune magazine Je Sais Tout (créé en 1905 – Si vous avez envie de feuilleter certains numéro, cliquez sur l’image de droite) un personnage de cambrioleur sympathique qui pourrait faire de l’ombre, ou tout au moins concurrencer, Sherlock Holmes si populaire de l’autre côté de la Manche…

lafitte 1908Lafitte est par ailleurs un sacré personnage. Il aimait la littérature, il aimait le sport, il aimait les femmes… D’où la création du prix Fémina pour les golfeuses. Il commence par être rédacteur en chef de La vie au grand air (1897). La même année, il crée les éditions Pierre Lafitte qui ne  compteront pas que le père du gentleman-cambrioleur dans leur écurie, mais tous les grands noms de l’époque.

Il partageait avec Maurice Leblanc l’amour de la petite Reine, et c’est en temps que chroniqueur cycliste qu’il avait commencé sa carrière journalistique. Il fait partie de bon nombre d’associations sportives, de cercles, comme on disait à l’époque.

C’est en 1906 qu’il s’installe  sur les Champs-Elysées ; oui, car Lupin n’a pas l’exclusivité de l’amour du luxe et du panache…

Je pense que ce personnage mériterait qu’on se penche sur sa vie, j’avoue que mes recherches ne m’ont pas encore offert beaucoup d’informations, si ce n’est cette article très bien fait de L’Association Patrimoniale du Golf, mais Lafitte n’était pas qu’un homme de golf ! c’était un homme de progrès qui s’est intéressé au vélo à ses débuts, mais aussi à l’aviation (il y eut un prix Fémina pour les aviatrices également), à la photographie qui balbutiait encore… 

 

 

Arsène Lupin Gentleman-cambrioleur (1905-1907)

CouvLupin9Arsène Lupin apparaît dans les pages de Je-Sais-Tout, le journal de Pierre Lafitte en 1905. Bizarrement, et pour le meilleur, il commence sa carrière par la fin… L’Arrestation… Cependant, et à cause de la pression de Lafitte et des lecteurs, il va bientôt s’évader.

Je pense qu’il est intéressant pour les pages exclusivement dédiées à Arsène Lupin sur ce blog de reprendre les volumes un par un pour vous donner un petit résumé, une opinion (tout ce qu’il y a de plus personnel… le plus souvent, j’hurlerai simplement au génie) et bien sûr quelques visuelles des splendides couvertures créées pour le gentleman depuis plus d’un siècle.  Commençons donc par le commencement :

Arsène Lupin gentleman-cambrioleur 

(nouvelles recueillies en volume en 1907)

Maurice Leblanc nous raconte quelques aventures du célèbre gentleman-cambrioleur qui a fait parler de lui pour la première fois en 1905 :

fac-similé d'un fascicule original des aventures d'Arsène Lupin (Ed. 813)

fac-similé d’un fascicule original des aventures d’Arsène Lupin (Ed. 813)

neuf aventures choisies, dont le triptyque L’arrestation d’Arsène LupinArsène Lupin en prison et L’évasion d’Arsène Lupin où l’on découvre toute l’ingéniosité du gentleman, capable de se laisser prendre pour mieux mener à bien ses projets tout en n’oubliant pas de se moquer des gendarmes.

L’arrestation d’Arsène Lupin

Un paquebot est en route pour les États-unis, un télégramme informe le commandant que Lupin se cache parmi ses passagers.

Sur le pont des premières classes, l’angoisse est grande…

Arsène Lupin en prison

Le gentleman est en prison, pourtant, le baron Cahorn reçoit une lettre de celui-ci lui intimant d’envoyer certaines pièces de sa collection sous peine de voir Arsène Lupin se servir lui-même.

Affolé, le baron demande l’aide du policier ayant arrêté le gentleman, Ganimard, qui justement se repose dans le village voisin.

L’évasion d’Arsène Lupin

Le procès d’Arsène Lupin va s’ouvrir, le gentleman a annoncé qu’il n’y assisterait pas. Une première évasion rocambolesque – Lupin revient de lui-même en prison – semble confirmer cette prophétie…

algcLe mystérieux voyageur

Trois personnes dans un wagon, en route pour la Normandie. L’un des voyageur attaque les deux autres, serait-ce le fraîchement évadé Arsène Lupin ?

Le collier de la Reine

Les Dreux-Soubise, possesseurs du célèbre « collier en esclavage » de la reine Marie-Antoinette, ont vu cette relique royale disparaître presque vingt ans plus tôt de manière mystérieuse.

Un vol en chambre close inexplicable que va pourtant démêler le chevalier Floriani.

Le Sept de coeur

Comment Maurice Leblanc a-t-il rencontré Arsène Lupin ? grâce à l’affaire du Sept de Coeur où il joue un rôle de premier plan.

D’abord, sa maison est cambriolée sans l’être, ensuite un homme vient se suicider dans son salon et, avec un ami, il découvre un squelette enterré dans son jardin… tout cela en rapport avec une simple carte à jouer, qui est en fait bien plus que cela.

Le coffre-fort de madame Imbert algc3

Une aventure d’Arsène Lupin alors qu’il n’est pas encore célèbre. Il se fait accepter chez les Imbert, détenteurs de nombreux titres, qu’ils ne peuvent toucher à cause de problèmes de succession.

Lupin convoite les titres…

La perle noire

Lupin, venu voler la célèbre perle noire découvre le cadavre de sa propriétaire et le bijou envolé.

Herlock Sholmes arrive trop tard

Le peintre Horace Velmont ressemble comme un frère à Arsène Lupin, son ami le banquier Georges Devanne le met au défi – par plaisanterie – de dévaliser son château avant l’arrivée d’Herlock Sholmès prévue le lendemain.

Il faudra à Lupin découvrir le secret du château de Thibermesnil, perdu depuis la révolution, pour accéder sans danger aux collections du banquier

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Mon premier exemplaire… il y en a eu d’autres dans mes bibliothèques !

LES AVATARS D’ARSENE LUPIN – Partie 3

Le besoin de s’ancrer dans la réalité alhs2Arsène Lupin n’a pas d’apparence définie, ou plutôt il en a trop. Grand, petit, vieux, jeune, blond, brun… Jamais Leblanc ne donne un portrait d’Arsène Lupin. C’est don Luis Perenna, le druide Sénégax ou le colonel Sparmiento qu’il nous décrit, jamais Arsène Lupin. Lupin lui-même donne le ton dès la première nouvelle : « Tant mieux si l’on ne peut jamais dire en toute certitude : Voici Arsène Lupin. L’essentiel est qu’on dise sans crainte d’erreur : Arsène Lupin a fait cela. » (« L’arrestation d’Arsène Lupin »). Mais cette disparition de l’apparence, cette mythification qu’il crée lui-même fait qu’il disparaît : Arsène Lupin est une espèce de croque-mitaine qui terrifie les riches et nargue la police. Il n’a plus de substance. Comme l’explique Anissa Bellefqih dans Arsène Lupin : la transparence du masque, le plus grand et le seul bien du gentleman-cambrioleur, c’est son nom. (idem) Le mythe Arsène Lupin ne peut être ramené à une personne particulière ayant un aspect défini, une histoire connue de tous. Il est à la fois inconnu et célèbre, comme le souligne sa boutade à de à Herlock Sholmès : « j’attends de vos nouvelles […] Comme adresse : Lupin, Paris… C’est suffisant… Inutile d’affranchir… » (Arsène Lupin contre Herlock Sholmès)ile 2 1969 Ceci prouve bien que Lupin n’est pas une personne sociale, c’est un hors-la-loi, un marginal. Le problème est alors de conjuguer cette vie en marge avec le caractère mondain et le désir de reconnaissance social propre au personnage. On ne peut pas paraître dans les salons, se mêler au monde si on est recherché par tous les policiers de France : « il [Lupin] s’efface au profit d’une image de lui-même qu’il crée de toutes pièces, d’un personnage légendaire qu’il met en scène de façon spectaculaire, d’un nom glorieux qu’il dissémine en lettres aux journaux ou en cartes de visite. » (Franck Evrard, Lire le roman policier).

à suivre…

Les Avatars d’Arsène Lupin – partie 1 

Les Avatars d’Arsène Lupin – partie 2 

LES AVATARS D’ARSENE LUPIN – Partie 1

Ce sera un autre feuilleton à épisodes (à raison d’un par semaine – rappelez-moi cette promesse si jamais j’étais distraite 😉  et Arsène Lupin au cinéma… et ailleurs ! reviens bientôt !). Pourquoi ? parce que Lupin a de nombreuses identités, et que toutes ces arton1152identités ont une signification particulière à un moment particulier de son existence… Je ne vous ferais pas le détail complet de chaque incarnation (l’ouvrier de « L’écharpe de soie rouge » ne mérite pas tout un chapitre…), mais je vais essayer de faire un tour d’horizon de ses identités marquantes.

Dès le début, il y a double identité, car Arsène Lupin, en fait Arsène-Raoul Lupin, est le fils d’un professeur de boxe et de savate, devenu escroc, et d’une demoiselle d’Andrésy. Mais, ce dédoublement va devenir au fil du temps multiplication, car Arsène Lupin c’est également don Luis Perenna, grand d’Espagne, le vicomte Raoul d’Andrésy, le prince russe Serge Rénine ou encore M. Lenormand, chef de la sûreté… Lupin, ce n’est pas qu’un fantastique et insaisissable voleur, c’est un fantôme, une rapsodie de caractère qui se manifeste à travers de multiples incarnations.

Pour savoir que l’on a affaire à Lupin, il faut qu’il se nomme lui-même. La question de la multiplication des identités est donc au cœur de la personnalité d’Arsène Lupin…

Et dès le premier recueil, il y a foisonnement d’identités…

Attention, article un peu long et potentiels spoliers pour ceux qui n’auraient pas lu le recueil

Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, ou la multiplication originelle des identités

fac-similé d'un fascicule original des aventures d'Arsène Lupin (Ed. 813)

fac-similé d’un fascicule original des aventures d’Arsène Lupin (Ed. 813)

Arsène Lupin est né sous une étoile aux multiples facettes : comment oublier en effet que dans la première nouvelle, « L’arrestation d’Arsène Lupin », nous ne dialoguons pas avec le gentleman-cambrioleur, mais avec un passager du bateau, Bernard d’Andrésy… On peut y ajouter cette mystérieuse initiale qui terrorise tout le bateau : « Arsène Lupin à votre bord, première classe, cheveux blonds, blessure avant-bras droit, voyage seul, sous le nom de R… » (L’arrestation d’Arsène Lupin)  Deux identités se mêlent. Lupin trompe déjà son monde, au R de Raoul il substitut Bernard, un cousin décédé.

À l’échelle du recueil, le phénomène se généralise de manière exceptionnelle : pas moins de dix identités, réelles ou empruntées, se succèdent. Si on met à part la deuxième nouvelle, « Arsène Lupin en prison » où le gentleman n’est que lui-même, pensionnaire à la prison de la Santé, chaque nouvelle voit apparaître une nouvelle identité. Dans « L’évasion d’Arsène lupin », il emprunte l’apparence d’un pauvre vagabond, Désiré Baudru, dans « Le sept de coeur », il est à la fois Jean Daspry, homme du monde, ami de Leblanc et le mystérieux Salvator, correspondant de L’Echo de France pseudonyme qui se rapproche étrangement du mot sauveur…

Cependant, si la multiplication des identités est généralisée dans le recueil, certaines sont plus importantes que d’autres. Jean Daspry permet à Maurice Leblanc de créer un lien entre Lupin et lui. Horace Velmont réapparaîtra dans d’autres aventures. Deux identités, surtout, retiennent l’attention. Dans la nouvelle « Le coffre-fort de madame Imbert », on découvre Arsène Lupin : « Arsène Lupin n’avait pas alors cette célébrité que lui ont value l’affaire Cahorn, son évasion de la Santé, et tant d’autres exploits retentissants. Il ne s’appelait même pas Arsène Lupin. » (Le Coffre-fort de Madame Imbert ») Le gentleman nous est montré ici au début de sa carrière, à un moment où, du moins on peut le supposer, le nom maternel de Raoul d’Andrésy, laisse place à celui qui doit être célèbre, Lupin. De même, dans la nouvelle « Le collier de la reine », on rencontre le futur Lupin en la personne d’un garçonnet de six ans prénommé Raoul. Garçonnet qui réalise l’exploit de voler un collier historique sans se faire prendre, et qui, des années plus tard, s’offre le plaisir de venir narguer les propriétaires du collier en leur dévoilant tout de son forfait. Dans ces deux personnages apparaissent les grandes lignes d’Arsène Lupin. Il se crée lui-même de toute pièce. Il personnifie son propre mythe fait d’une intelligence exceptionnelle et d’un amour enfantin du rire et de la gaieté.

Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur est une véritable genèse du personnage mythique de Leblanc et de ses jeux incessants sur le thème de l’identité : Lupin n’est jamais réellement lui-même, au-delà des identités forgées de toutes pièces reste Arsène face à Raoul, c’est-à-dire le mythe face à l’homme, et surtout un personnage polymorphe qui avoue lui-même ne plus savoir qui il est :

 « – Moi-même, me dit-il, je ne sais plus bien qui je suis. Dans une glace, je ne me reconnais plus. Boutade, certes et paradoxe, mais vérité. » (« L’arrestation d’Arsène Lupin) 

Ainsi, le premier recueil pose les bases d’une question foisonnante dans les aventures d’Arsène lupin, celle de l’identité. On y rencontre tour à tour Lupin sans masque et ses avatars aussi multiples que dissemblables.

à suivre…