Ce sera un autre feuilleton à épisodes (à raison d’un par semaine – rappelez-moi cette promesse si jamais j’étais distraite 😉 et Arsène Lupin au cinéma… et ailleurs ! reviens bientôt !). Pourquoi ? parce que Lupin a de nombreuses identités, et que toutes ces
identités ont une signification particulière à un moment particulier de son existence… Je ne vous ferais pas le détail complet de chaque incarnation (l’ouvrier de « L’écharpe de soie rouge » ne mérite pas tout un chapitre…), mais je vais essayer de faire un tour d’horizon de ses identités marquantes.
Dès le début, il y a double identité, car Arsène Lupin, en fait Arsène-Raoul Lupin, est le fils d’un professeur de boxe et de savate, devenu escroc, et d’une demoiselle d’Andrésy. Mais, ce dédoublement va devenir au fil du temps multiplication, car Arsène Lupin c’est également don Luis Perenna, grand d’Espagne, le vicomte Raoul d’Andrésy, le prince russe Serge Rénine ou encore M. Lenormand, chef de la sûreté… Lupin, ce n’est pas qu’un fantastique et insaisissable voleur, c’est un fantôme, une rapsodie de caractère qui se manifeste à travers de multiples incarnations.
Pour savoir que l’on a affaire à Lupin, il faut qu’il se nomme lui-même. La question de la multiplication des identités est donc au cœur de la personnalité d’Arsène Lupin…
Et dès le premier recueil, il y a foisonnement d’identités…
Attention, article un peu long et potentiels spoliers pour ceux qui n’auraient pas lu le recueil
Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, ou la multiplication originelle des identités

fac-similé d’un fascicule original des aventures d’Arsène Lupin (Ed. 813)
Arsène Lupin est né sous une étoile aux multiples facettes : comment oublier en effet que dans la première nouvelle, « L’arrestation d’Arsène Lupin », nous ne dialoguons pas avec le gentleman-cambrioleur, mais avec un passager du bateau, Bernard d’Andrésy… On peut y ajouter cette mystérieuse initiale qui terrorise tout le bateau : « Arsène Lupin à votre bord, première classe, cheveux blonds, blessure avant-bras droit, voyage seul, sous le nom de R… » (L’arrestation d’Arsène Lupin) Deux identités se mêlent. Lupin trompe déjà son monde, au R de Raoul il substitut Bernard, un cousin décédé.
À l’échelle du recueil, le phénomène se généralise de manière exceptionnelle : pas moins de dix identités, réelles ou empruntées, se succèdent. Si on met à part la deuxième nouvelle, « Arsène Lupin en prison » où le gentleman n’est que lui-même, pensionnaire à la prison de la Santé, chaque nouvelle voit apparaître une nouvelle identité. Dans « L’évasion d’Arsène lupin », il emprunte l’apparence d’un pauvre vagabond, Désiré Baudru, dans « Le sept de coeur », il est à la fois Jean Daspry, homme du monde, ami de Leblanc et le mystérieux Salvator, correspondant de L’Echo de France pseudonyme qui se rapproche étrangement du mot sauveur…
Cependant, si la multiplication des identités est généralisée dans le recueil, certaines sont plus importantes que d’autres. Jean Daspry permet à Maurice Leblanc de créer un lien entre Lupin et lui. Horace Velmont réapparaîtra dans d’autres aventures. Deux identités, surtout, retiennent l’attention. Dans la nouvelle « Le coffre-fort de madame Imbert », on découvre Arsène Lupin : « Arsène Lupin n’avait pas alors cette célébrité que lui ont value l’affaire Cahorn, son évasion de la Santé, et tant d’autres exploits retentissants. Il ne s’appelait même pas Arsène Lupin. » (Le Coffre-fort de Madame Imbert ») Le gentleman nous est montré ici au début de sa carrière, à un moment où, du moins on peut le supposer, le nom maternel de Raoul d’Andrésy, laisse place à celui qui doit être célèbre, Lupin. De même, dans la nouvelle « Le collier de la reine », on rencontre le futur Lupin en la personne d’un garçonnet de six ans prénommé Raoul. Garçonnet qui réalise l’exploit de voler un collier historique sans se faire prendre, et qui, des années plus tard, s’offre le plaisir de venir narguer les propriétaires du collier en leur dévoilant tout de son forfait. Dans ces deux personnages apparaissent les grandes lignes d’Arsène Lupin. Il se crée lui-même de toute pièce. Il personnifie son propre mythe fait d’une intelligence exceptionnelle et d’un amour enfantin du rire et de la gaieté.
Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur est une véritable genèse du personnage mythique de Leblanc et de ses jeux incessants sur le thème de l’identité : Lupin n’est jamais réellement lui-même, au-delà des identités forgées de toutes pièces reste Arsène face à Raoul, c’est-à-dire le mythe face à l’homme, et surtout un personnage polymorphe qui avoue lui-même ne plus savoir qui il est :
« – Moi-même, me dit-il, je ne sais plus bien qui je suis. Dans une glace, je ne me reconnais plus. Boutade, certes et paradoxe, mais vérité. » (« L’arrestation d’Arsène Lupin)
Ainsi, le premier recueil pose les bases d’une question foisonnante dans les aventures d’Arsène lupin, celle de l’identité. On y rencontre tour à tour Lupin sans masque et ses avatars aussi multiples que dissemblables.
à suivre…