Le poison
Le froid était venu soudain. L’automne new yorkais si célèbre pour sa douceur n’avait été qu’un rêve d’un ou deux jours. L’été mourut pour laisser place à un hiver rude, désolant. Euréka était en train de naître, et cela grâce à Sarah. Poe revivait grâce à elle, et grâce à son autre projet. Cependant, cela n’avançait pas avec célérité. Il devait réfléchir et réfléchir encore pour être sûr de faire les bons choix. Il ne pouvait pas prendre de notes, de peur d’être découvert. Il allait brûler les pages qu’il avait brossées quelques semaines plus tôt. Le crime n’était pas assez grandiose, ni assez sordide. Il fallait que ce soit parfait, que le discrédit fut total.
L’horloge sonna sept heures. Il était temps de s’arrêter d’écrire pour penser à la soirée qui l’attendait. Sarah l’avait invité à diner, et il se devait d’être ponctuel et bien mis. Mrs Whitman ne badinait pas avec l’étiquette. Il se leva donc pour se préparer, mais fut casser en deux par une quinte de toux. Depuis quelques jours, sa santé était mise à rude épreuve par le froid. Il chercha des yeux son cordial et le découvrit sur la table basse, prêt de la porte. La bouteille ne cessait de se déplacer. Maria le poursuivait avec ce remède. La toux le reprit et il adressa une pensée à Maria qui le protégeait avec tant d’abnégation. Il prit la bouteille, une cuillère, et se ravisa. Quelques gouttes ne seraient pas bien utiles. Il se versa un demi-verre de la potion qu’il agrémenta de deux sucres pour en masquer le goût. Il l’avala d’un trait, et tomba inconscient.
– Comment a-t-il pu s’en procurer ? interrogeai sèchement la voix.
Un murmure et des sanglots lui répondirent. Dans un brouillard auditif et visuel, Edgar Poe reprit douloureusement conscience. Son corps et son esprit étaient en souffrance.
Où était-il ? Qu’était-il arrivé ?
– Il est conscient, reprit la voix. Monsieur Poe, m’entendez-vous ?
Il voulut répondre, mais sa voix lui sembla un étrange croassement. Elle lui fit l’effet d’une plainte, rauque, faible.
– Que dit-il ?
C’était Maria, il reconnaissait son timbre doux.
– Du pain ?… Je pense qu’il délire. Laissons-lui encore quelques heures pour se remettre. Il est hors de danger.
Le docteur – cette voix froide, sans émotion, professionnelle, ne pouvait-être que celle d’un docteur – le docteur et Maria s’écartèrent un peu. Il entendit un fauteuil grincer à sa droite. Maria avait dû s’asseoir près de l’âtre. Sans la voir, il l’imaginait lissant sa jupe noire, les yeux fixés sur le praticien, debout devant elle, peut-être appuyé au manteau de la cheminée.
– Ce remède, commença Maria sans oser poursuivre.
– La fiole sentait fortement le laudanum, mademoiselle, interrompit le docteur. Il n’y a pas eu d’erreur dans la prescription, pourtant ; le pharmacien le jure, et c’est un homme capable dont je ne remets pas la parole en doute…
Du laudanum… Poe se souvint du goût étrange de la mixture. Son remède était sur la table basse… Il ne l’y avait pas laissé, Maria non plus.
Dupin.
A Suivre …
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