Le Bonheur par le crime…
Trente-et-un décembre.
Le bonheur, encore une fois, s’était refusé à lui. Poe regardait brûler la lettre de Mrs Whitman – plus jamais Sarah pour lui – la lettre où elle lui annonçait sèchement que leurs fiançailles n’étaient plus que cendres, qu’elle n’unirait pas son destin à un être d’une telle dépravation, sans parole. Elle avait joint à sa note la raison de la rupture. Cette lettre-ci, Poe la gardait dans son poing serré. Il n’avait eu qu’à poser les yeux dessus pour en reconnaitre l’écriture. Cette missive anonyme pour Mrs Whitman, pour Maria, pour Mrs Show, ne l’était pas pour le poète. Elle hurlait le nom de son auteur. Quelques mots sur sa prétendue intempérance, sur ses soi-disant relations avec Clara S.
Comment prouver son innocence ?
Le 23 décembre, il était rentré directement à l’hôtel, seul. Il avait tenté d’écrire, mais l’angoisse d’être dérangé encore ne lui avait pas permis d’avancer, quelques lignes ressemblant à celles écrites l’année passée – il y avait mis toute sa colère, mais pas son talent – quelques lignes qui ne pouvaient pas l’aider. Même s’il les montrait à Sarah, même s’il lui racontait tout… Comment pourrait-elle le croire ? Il n’était qu’un dépravé, un alcoolique, un coureur de jupons qui lui offrirait une fable à sa façon pour justifier son inconstance, un conte qu’elle verrait comme une injure de plus.
Quelque part dans la maison, une horloge se mit à égrainer les douze coups de minuit ; une nouvelle année commençait – 1949. Dans une poignée de jours, il aurait quarante ans. Il se sentait seul, égaré. Il n’avait pas obtenu la gloire immortelle qu’il désirait tant. Virginia n’était plus que cendres, Sarah le haïssait, on le calomniait, on l’injuriait… Il regarda son poing serré qui contenait les mots du vil délateur… Pourquoi s’acharnait-il ainsi ? La réponse était évidente. La gloire, il la désirait pour lui seul. L’écrivassier n’aurait rien. La créature voulait avoir raison de son créateur. Le monstre voulait gagner la partie…
Poe jeta la lettre dans les flammes, d’un geste vif, irrépressible, comme si elle lui brûlait la main. Un sentiment terrible le submergea, une peur immense, mêlée de la conscience de la puissance de la chose qu’il avait créée. Appuyé au manteau de la cheminée, le visage en sueur mais le corps glacé, Poe fixait les flammes hypnotiques, cherchant désespérément le moyen…
Assis dans le salon de son manoir déserté, sur un fauteuil qu’il n’avait pas pris la peine de débarrasser du drap qui le recouvrait, le chevalier Dupin fumait sa pipe d’écume, songeant à ses mille et une aventures. Pourquoi avoir parlé à Poe ? Pourquoi avoir placé sa renommée entre les mains de l’écrivain. La réponse était simple. Il avait vu le talent, la force de caractère, la liberté de son esprit. Poe était réellement un artiste et un visionnaire. Il ne voulait vivre selon aucune règle sinon les siennes, il désirait créer et obtenir la reconnaissance par sa création. Tôt ou tard, Dupin en était persuadé, Poe obtiendrait avec usure cette gloire tant désirée. Dans l’esprit de Dupin se fit alors jour une solution. L’appel de l’écrivain vers la célébrité lui offrait brusquement la justification de ses pulsions. Le but final de l’art est esthétique, Poe l’avait déclaré lui-même. C’était la beauté auquel devait aspirer la création, l’effet qu’elle produisait sur le lecteur. C’était la beauté à laquelle devait aspirer le crime…
A Suivre …
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